Et si on venait à l'uniforme en milieu scolaire ? (et pourquoi non ?)

 

Photo gracieusement offerte par une collègue, histoire en dessous


Ce billet va devenir presque du réchauffé tellement en ce moment les polémiques se succèdent sans même qu'on prenne le temps de se poser et d'en parler.

On lance un tweet, on fait le buzz, on invente un  #J'emmerdeLesVieux #JefaisCeQueJeVeux, ça s'étripe joyeusement sur des avis profonds comme "c'était mieux avant, on avait le respect des anciens" et "Ok boomer", et puis le débat s'étiole et on passe à la polémique suivante.

 

Ça ressemble à ces bastons d'Asterix, à ces batailles rangées de la guerre des boutons, où finalement on ne sait plus bien pourquoi on se bat (et franchement on s'en fout un peu).

 

Et pourtant, ce débat sur la tenue des élèves, sur ce qui est normal ou non, républicain ou non, respectueux ou non, ce débat-là est passionnant et mériterait qu'on s'y attarde un peu.

Je vais donc m'y attarder, parce que j'ai envie et que finalement j'utilise ce blog comme bon me semble.


Mais je vais m'attarder dessus avec une focale particulière qui est celle de l'éducateur en milieu scolaire. Il ne s'agira pas de donner mon avis de père de famille, ni de celui du citoyen qui croise les élèves concernés, mais uniquement du point de vue éducatif en milieu scolaire (donc).

 

Que les choses soient claires : je suis, et cela m'est venu assez tardivement, partisan d'une permissivité vestimentaire que certains pourraient qualifier d'excessive.

En milieu scolaire, donc.

Pourtant j'ai longtemps aimé cette idée qu'imposer à tous les élèves un même uniforme était une bonne chose. J'avais même pensé à comment le rendre vraiment égalitaire en le faisant fournir par les établissements et pas par les familles, égalisant ainsi et effaçant les différences sociales, évitant ainsi tout heurt et toute difficulté.

Un uniforme unisexe, pantalon pour tous, même chemise, même pull, dégenré et apaisant.

 

Pour plaider cette vision, j'aurais ainsi créé un établissement où seraient gommées les différences, où les filles auraient moins à craindre les remarques déplacées des garçons libidineux, où le jeune homosexuel à la tenue jugée trop "efféminée" n'aurait plus à subir les remarques homophobes.
Un établissement calme dans lequel il ferait bon apprendre et terminer les programmes.

 

Là, en théorie, vous me voyez arriver avec mes gros sabots...

 

En tant que parent, même si ce n'est pas le sujet de mon billet, j'aurais vu plutôt d'un bon œil cet établissement où auraient régné le calme et une ambiance propice à la réussite scolaire de mes enfants.

En tant que parent qui a à cœur l'éducation de ses enfants à la différence, j'aurais fait ma part du job et j'aurais œuvré pour m'assurer qu'ils intègrent chacun la notion de liberté et de consentement, la notion de différence et de respect de l'autre.

 

Et c'est là où l'éducateur que je suis se refuse à ce genre de solution de facilité, voire même de solution qui selon moi n'aidera pas notre société à régler cette question qui la pourrit de l'intérieur : la question centrale du consentement, l'égalité réelle entre les hommes et les femmes, et le patriarcat qui n'en finit pas de refuser de disparaitre. (Le mot "patriarcat" devient un gros mot, je l'utilise en conscience)

 

Avant de continuer, il me faut vous narrer à quel moment, à presque 50 ans, j'ai basculé vers le côté permissif de la Force.


J'étais jusque-là chef dans des établissements où régnait une bonne ambiance et dans lesquels on ne venait pas avec un jeans troué, ni en tenue trop courte (pour les filles), ni en claquettes de piscine avec des chaussettes de tennis dedans...

 

Et tout le monde acceptait sans (trop) rechigner, ces règles claires affichées à l'entrée, avec photos explicatives à l'appui.

Le Principal que j'étais était donc satisfait et finalement ne se posait pas trop de questions puisque personne ne se questionnait dessus.

 

Jusqu'à ce que je vienne à assurer l'intérim d'une collègue qui partait à la retraite et que je change de collège pour un autre, beaucoup plus gros.

 

Cette collègue, pour qui j'ai une affection certaine, était ce que je pourrais qualifier de façon caricaturale et triviale une vieille fumeuse de gitane (en réalité je ne sais pas ce qu'elle fumait) au caractère trempé, probablement ex soixantuitarde gauchiste féministe militante. 

Pour faire court.

 

Elle pilotait son collège d'une main de fer (ses coups de gueule étaient mémorables), et avait une particularité que j'ai découverte de manière empirique :

Cette collègue ne mettait aucune restriction à la tenue de ses élèves. 

Aucune.

 

Alors, quand j'ai pris la direction de ce collège un certain premier novembre, étonné de voir tous ces jeans troués et ces tenues pour le moins bariolées, j'ai décidé de ne rien faire.

Et j'ai observé.

 

Dans ce collège, si les tenues relevaient de ce que certains pourraient qualifier de "grand n'importe quoi", les cours se déroulaient de façon normale, c'est à dire en respectant les règles ET les personnels, ET les autres de façon générale.

J'ai donc creusé pour comprendre les interrogations que je pouvais avoir, lesquelles heurtaient finalement mes idées. 

J'ai discuté, j'ai interrogé les adultes présents sur leur ressenti et leur sentiment sur ce sujet.

 

Pilotés depuis des années par cette Principale aux idées originales, ils avaient pris le pli et personne ne s'inquiétait de ces tenues bigarrées. 

En revanche, tous étaient attentifs au respect des règles et vigilants pour que rien ne dérape.

 

La réponse est alors venue toute seule : "Nous travaillons dès leur arrivée et de façon naturelle sur les rapports filles-garçons".

Mais moi aussi, je travaillais sur ces rapports, depuis des années, avec moult interventions extérieures pour sensibiliser les élèves et les faire réfléchir. Sans finalement réfléchir à la portée réelle de ces interventions (si ce n'est qu'elles enrichissaient très honorablement mon rapport annuel du fonctionnement pédagogique).

 

J'ai pourtant, au contact de ces personnels et de ces élèves, au contact bref de ce collège et grâce à cette collègue, totalement changé d'avis sur la question de la tenue "normale" au sein d'un établissement scolaire.

 

Je ferme cette parenthèse historique, je voulais prendre le temps de rendre hommage à une grande cheffe.

 

Or donc, je suis aujourd’hui contre la mise en place d'un uniforme en milieu scolaire. 

A moins que cela nous soit imposé, et dans ce cas je veillerai à son application (en bon républicain représentant de l’État).

 

Or donc aujourd'hui je suis opposé à ce qu'on restreigne de façon exhaustive les tenues au sein d'un établissement scolaire.

J'entends d'ici les cris d'orfraies sur le thème "mais c'est la porte ouverte à toutes les fenêtres, malheureux !".

 

Je rappelle donc le contexte de départ de mon billet et sa focale éducative.

 

Les établissements scolaires sont aujourd'hui des lieux d'éducation, au-delà de lieux de transmission de savoirs (j'entends à nouveaux quelques cris).

 

Nous devons donc saisir toutes les occasions de générer des situations d'apprentissage et d'éducation.


Ma conviction aujourd'hui est que le meilleur moyen d'éduquer au respect du choix, au consentement, de lutter contre les discriminations (et aussi d'enterrer le patriarcat), c'est de pouvoir gérer au quotidien des situations que nos jeunes vont rencontrer dans leur vie à venir.

Si on y réfléchit bien et collectivement, quel lieu plus sécurisé qu'un établissement scolaire pour se confronter à cette réalité ?

N'avons-nous pas là un lieu d'apprentissage en or pour apprendre aux garçons qu'une fille en short n'est pas un bout de viande, qu'entre la pensée et l'expression de sa pensée il y a une frontière à parfois ne pas dépasser, etc. ?

 

Cette photo au début de mon billet est assez formidable à ce sujet. 

Envoyé par une collègue, message affiché sur la façade de son établissement, j'ai pensé que c'était l'expression d'un travail effectué avec ses élèves. Comme un aboutissement collectif à une prise de conscience.

En réalité il s'agissait d'une action extérieure comme on en voit beaucoup ces derniers temps.

Et pourtant, je trouve le message formidable.

 

L'uniforme en établissement scolaire, si on peut penser qu'il s'agirait d'une bonne intention de départ, nous empêchera (à tout moins ne nous rendra pas la tâche facile) de mettre en application ce que nous essayons d'inculquer aux garçons (mais pas que) et qu'ils intègrent que "le short des filles n'est pas une invitation".

 

Avec l'uniforme, nous passerons à côté de plein d'opportunités d'éduquer nos élèves, de leur expliquer, y compris par la sanction (laquelle se doit aussi d'être éducative) que tel ou tel comportement n'est pas acceptable. Ni dans leur établissement, ni en dehors.

 

Et il en est de même finalement avec les jeans troués, les jupes, voire même (soyons fous - et là je fais violence à ma propre notion du bon goût) les chaussettes de sport dans des sandales de piscine.

 

L'important est ailleurs et je pense que c'est ce que les jeunes générations essaient de nous dire en nous provoquant de façon aussi triviale avec des # que nous refusons de lire.

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Update 04/09/2021 : je vois à l’instant les derniers commentaires qui me confortent dans ma conviction. N’hésitez pas à laisser le vôtre 🙂

Commentaires

Le_Proviseur a dit…
Merci pour ce billet auquel j'adhère totalement.
A propos de la photo, il y avait un reportage au journal d'Arte hier soir sur ces "colleuses" : on y découvre des jeunes filles/femmes à la pensée saine et bien construite.
Anonyme a dit…
Bravo pour cet excellent billet. Autorisez-vous à faire un lien depuis Facebook vers ce billet ? (Un lien, pas un copier coller).
En réponse à la demande « Autorisez-vous à faire un lien depuis Facebook vers ce billet ? (Un lien, pas un copier coller) »
Ce billet est public, n’hésitez pas à le relayer s’il vous plaît, Par tous les moyens que vous voudrez :-)
Unknown a dit…
Bonjour Monsieur et merci pour cet article que je partage illico sur mes réseaux : https://www.facebook.com/laptitecuisinecpe
Unknown a dit…
Voilà pour moi un beau devoir de vacances : préparer une rentrée autrement qu'en devant acheter un mètre de couturière pour mesurer la distance entre le bas des jupes et le haut des genoux (ou le bas, je ne sais plus)!
Merci à toi, cher collègue, et à une de tes lectrices qui m'a transmis le lien vers ton blog.
Anonyme a dit…
Réflexion intéressante qui résonne avec celle que je m’apprête à vivre… De deux directions de collèges plutôt favorisés et après avoir mis en place une grande liberté sur les tenues des élèves, je vais arriver dans un collège d’éducation prioritaire dans lequel le dress code est très cadré : ni jogging, ni capuche ni casquette dans la cour, ni trous dans les jeans… En première intention, le climat scolaire est plutôt bien tenu et les personnels se sentent majoritairement protégés par ce cadrage qui vise à marquer une rupture avec les tenues portées à l’extérieur de l’établissement. Comment prendre cette direction dans la continuité de l’existant mais en opposition avec les valeurs et les expériences éprouvées ? Prendre son très temps ou pas ?
Anonyme a dit…
Aaaaahhhhh ! Voilà exactement le fil de ma réflexion (en tant que CPE) sur ce sujet et même constat fait dans un lycée à la population très hétérogène et composée à plus de 60% de garçons et où les filles se baladaient comme elles le voulaient et où les « claquettes-chaussettes » résonnaient dans les couloirs à la belle saison. Et où il était plus facile d’éduquer sur le consentement, la tolérance et l’acceptation de la différence que dans d’autres établissements. J’en remercie vivement son ancienne équipe de direction.
Anonyme a dit…
Pour avoir eu à habiller divers enfants "à besoins particuliers" comme on dit, j'ajoute que l'uniforme est totalement incompatible avec une école inclusive. Parce que quand on fait les magasins à la recherche du pantalon avec un élastique confortable et pas une ceinture, sans les coutures sont le contact est intolérable, des chaussures qui n'ont pas le rebord à l'endroit où la cheville est trop sensible, du maillot qui a le col pas trop ouvert ni trop fermé qui va bien... l'uniforme serait un casse-tête sans aucune solution !
Anonyme a dit…
Merci beaucoup cher collègue pour cette aide à exprimer mes profondes convictions. Le nouveau règlement intérieur sans aucune restriction vestimentaire a été adopté en mai 2022 dans mon collège !!
Cathy a dit…
Merci beaucoup pour cet article très intelligent. Tes réflexions m'éclairent sur ce que je ressens de profondément anti social dans le port d'un uniforme en milieu scolaire. Ce qui fait société à l'Ecole c'est d'y faire entrer la vie et de pouvoir en apprendre. L'Ecole (de la maternelle à l'université) doit être un lieu de grande sérénité pour que les élèves s'y sentent en sécurité (ce que certain.e.s nomment "sanctuarisation") pour apprendre, ce n'est pas un lieu hors de la vie, et tout ce qui est la vie est également sujet d'apprentissage. J'ai vu fleurir des affichages collés sur les murs se ma ville en cette rentrée 2023 "ministère du dressing" "occupez-vous moins du voile et plus du viol".
Bon courage à tous les enseignants !
Anonyme a dit…
On éduque qu'en situation réaliste sécurisée pour que chacun apprivoise son rapport à l'autre. Si on masque tout par l'uniforme, on ne génère pas de situation socialisante, et on empêche en milieu protégé qu'est l'école chacun de s'interroger sur ses propres réactions (souvent vives et simplistes). Du coup on renvoie à l'extérieur du champ éducatif la question du vivre ensemble dans la différence intégrée...
J'ai connu des établissements notamment en outremer très portés sur la notion d'uniforme mais avec des motivations spécifiques, notamment d'intégration mais qui finalement dérivent souvent vers une gestion des flux par couleur d'uniforme...
Merci de porter avec humour et sincérité cette thématique devenue plus politique qu'éducative et qui , comme le soulignait un commentaire, fait dériver l'attention de l'opinion publique sur des sujets annexes.