Passe ton Bac(2020) d’abord ? Ou pas.


Convaincu pour ma part depuis fort longtemps de l’inutilité du baccalauréat dans la construction de l’individu, j’avais initialement projeté un billet pour demander à notre ministre de bien vouloir étudier purement et simplement sa suppression.

Fort de cette conviction (« le Bac ne manquera à personne ») j’y développais plusieurs arguments.

Le premier reprenait les travaux de Boris Cyrulnik sur la notion de résilience.
La société vivant un véritable traumatisme, la gestion du syndrome post traumatique inhérent allait selon moi devoir passer en priorité sur tout le reste.
Ainsi, tout ce qui allait pouvoir faire baisser la charge mentale de gestion du confinement devrait être décidé par les autorités compétentes.
A commencer par les épreuves du baccalauréat et du DNB (qu’on appelle plus communément le Brevet).
J’ai déjà été amené à l’exprimer, mais les travaux de Boris Cyrulnik sont sur le sujet absolument passionnants.

Dans ce premier billet, j’écrivais : 
Ce que nous vivons en ce moment, le fait que la crise soit mondiale, doit nous faire prendre conscience que la priorité de l'Humanité, une fois la vie possiblement revenue à la normale, devra être dans l'accompagnement des individus à surmonter le traumatisme.
Au delà de la résilience, de nombreux personnels de santé parleront (et parlent déjà) de syndrome post-traumatique et des soins qui iront avec.

Dans ce premier billet, j’évoquais l’état de nos personnels ainsi :
Je ne reviendrai pas sur la bévue de la porte-parole du gouvernement à propos des enseignants, mais la rapidité et la nature des réactions ont montré à quel point les personnels visés sont à fleur de peau et avancent sur le fil du rasoir.
Il en faudrait peu pour que leur investissement absolument remarquable depuis le début du confinement ne vole en éclat.
La réaction de notre Ministre a été immédiate et le soutien sans faille (merci), mais je crois qu'il aurait fallu en rester là et ne pas aborder d'autres sujets dans une même intervention (c'est l'expert en communication qui parle ^^).

Je parlais alors des RPS (Risques Psycho Sociaux) et de la nécessité selon moi de les mettre en avant, bien plus sûrement qu’une question du maintien du bac.

Bref, partant du principe que ma conviction était unanimement partagée, je cherchais tous les arguments pour justifier l’annulation pure et simple du Baccalauréat...

Mais j’ai pris conseil auprès de trois personnes dont l’avis m’importe et j’ai réalisé que cette conviction ne serait peut-être pas aussi unanimement partagée.

Ma conviction n’a pas changé et je suis persuadé que le maintien du Bac en cette année 2020 si particulière aura bien plus d’effets négatifs que d’effets positifs.
Si en plus on venait à demander aux personnels de prolonger jusqu’à fin juillet, après les propos récents, cela serait vécu par tous comme un véritable camouflet et la réponse risque d’être cinglante.

Deux des personnes consultées ont fait référence à cette phrase mythique « passe ton Bac d’abord ! », ancrée dans l’inconscient collectif français (et qui m’horripile).
Ça ne seraient finalement pas les personnels qui souffriraient de cette annulation, ni même probablement les élèves, mais plus leurs parents et toute une frange plus âgée de la société.
Sauf peut-être la génération de ceux qui ont vécu le Bac 1968 et savent pertinemment que j’ai raison ☝🏼...

A ce titre, je ne saurais trop conseiller la lecture de ce billet du Monde du 30/03/2005 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2005/03/29/le-destin-inespere-des-miracules-de-mai-68_632691_3224.html

Mais finalement, des trois personnes que j'ai consultées, s'il se dégage une majorité de points de vue, ça serait plus sur les deux points ci-après (peut-être pas dans cet ordre d'importance) : 
  1. En 2013, le journal Le Monde chiffrait le coût du bac à 1.5 Milliards d'euros. Je suis certain qu'en communiquant bien on peut valoriser l'économie qui serait faite d'une annulation exceptionnelle...
  2. Si on annule les épreuves, on donne à tous les lycées et collèges la possibilité de pouvoir travailler au moins jusqu'au 26 juin 2020 inclus (voire jusqu'au 1er juillet si on rogne sur les réunions de préparation de la rentrée) ; on récupèrerait ainsi jusqu'à un mois de cours en présentiel (si le confinement est levé à temps) et cela rassurerait toute la communauté éducative.
Je pourrais conclure ce billet ici et lancer simplement le débat.

Je me permettrais néanmoins d'ajouter un avis qui me tient à coeur :

L'incertitude est génératrice de stress.
Nous avons en ce moment à gérer trop de questions sur lesquelles nous ne pouvons agir et avec lesquelles chacun doit vivre ("combien de temps ?, suis-je malade ?, suis-je porteur ?, qui de mes proches va être malade ?, qui va mourir ?, quand les reverrai-je ?, vais-je perdre mon travail ?, mon entreprise va-t-elle survivre ?, comment vont mes parents ?", etc.) ; dans ce contexte, il me semble indispensable d’alléger au maximum notre charge mentale.

Le Président de la République a très justement dit : "Nous sommes en guerre".
Nous devons donc agir comme tel et accepter que plus rien ne sera comme avant, et qu'il est du devoir que tous ceux qui le peuvent de soulager la population du poids de ce traumatisme.


Pour conclure et revenir à la question initiale :
Si le baccalauréat devait être maintenu, les Cadres que nous sommes s'exécuteront et obéiront, mais le coût risque selon moi d'être bien plus élevé qu'un petit milliard et demi d'euros...

A minima, nous pourrions au moins dès à présent annoncer la suppression du DNB  qui pour le peu ne sert décidément pas à grand chose au regard de l'énergie dépensée (là, c’est l’opportuniste Principal de collège qui parle).


Pour aller plus loin :

Des lycéens passent le baccalauréat le 27 juin 1968 dans un des 80 centres de l'académie de Paris. La tenue des examens ayant été perturbée en raison des événements de mai 1968, les épreuves se font uniquement à l'oral.
Des lycéens passent le baccalauréat le 27 juin 1968 dans un des 80 centres de l'académie de Paris. La tenue des examens ayant été perturbée en raison des événements de mai 1968, les épreuves se font uniquement à l'oral. AFP
Source : LeMonde.fr
https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/06/17/de-1968-a-nos-jours-cinquante-ans-de-bac-en-videos-d-archives_5316540_4401467.html

(...)

N’hésitez pas à commenter ci-dessous si le sujet vous interpelle ☝🏼

Commentaires

Audrey a dit…
Bonjour, je trouve votre article plein de bon sens. Cela étant, il est important de conserver un contrôle de connaissances et de compétences qui attestera le niveau des élèves en fin de cycle 4 et en fin de cycle terminal. On ne peut tout bonnement supprimer le DNB et le bac sans proposer une vérification des acquis attendus. Qu'envisagez-vous en tant que cadre? Je vous remercie pour votre réponse.
Bonjour Audrey,
Je fais partie des personnels qui pensent qu’on doit pouvoir faire confiance aux enseignants pour évaluer dans chaque lycée et collège un niveau de compétences exigées à la fin d’un cycle au regard d’un référentiel précis.
Je sais que cet avis n’est pas unanimement partagé et que beaucoup craignent à une inégalité de traitement sur l’ensemble du territoire mais moi j’y crois.
Cette année en tout cas, ça me semble la meilleure solution, la plus sensée, en faisant en sorte que cela ne pénalise pas les élèves (c’est possible).
Et ça nous laisse quelques mois de répit pour repenser à après si l’on souhaite. Ou reprendre ce qui était prévu...