De la solitude cheffesque


La solitude des chefs
Billet digressif...


En échangeant avec des professionnels de la profession, en prenant le temps de me retourner sur 12 ans de chefitude, j’ai réalisé à quel point notre métier (mais pas que) pouvait être psychiquement difficile.

Avec l’actuel, j’ai connu six établissements, tous très différents.
J’y ai passé entre huit mois et cinq ans.
Dans trois je suis arrivé comme pompier, ou comme roue de secours, ou je l’ai utilisé comme tremplin, en fonction du point de vue, pour des périodes parfois très courtes, donc, et une fois en m’y attardant cinq ans (de ces lieux auxquels on s’attache).

Dans tous j’ai trouvé un chemin de pilotage et je me suis adapté au contexte en parvenant (mon point de vue) à tirer le meilleur de ce que j’avais.
Je suis même devenu Monsieur « ça va bien se passer », qui est devenu au fil des ans ma marque de manager.

Mais il est un collège pour lequel je garde un goût de regrets, pour lequel je ne suis de mon point de vue pas parvenu à rendre vraiment service.
Quand j’y suis arrivé, j’ai vu le potentiel formidable d’un collège qui aurait pu devenir un modèle.
Et j’ai totalement échoué.

Je n’ai eu à aucun moment à vivre de conflit, je déjeunais chaque midi ou presque avec les personnels, nous prenions du plaisir à échanger de façon conviviale.
Mais avec cet établissement, je n’ai pas su être assez convainquant pour les emmener dans ma vision de ce qu’aurait pu devenir une politique partagée.
Sans entrer dans les détails, je me suis vu renvoyer un refus quasiment systématique à chacune de mes propositions novatrices ou originales ; refus toujours poli, mais refus ferme.
« On a toujours fait comme ça, on n’a jamais fait comme ça », pour caricaturer un peu.

Et comme je ne pilote pas par injonction, j’ai privilégié la cohésion et le bien-être au travail plutôt que mon envie de modifier la politique éducative et pédagogique.
Je suis incapable de diriger par le conflit (quand certains collègues le font parfois avec une efficacité certaine) ; je me suis souvent dit que pour cet établissement c’était un défaut. Peut-être avaient-ils besoin d’un chef ferme et décidé qui impose sa vision pour leur (dé)montrer à quelle point c’était la bonne.
Mais je me refuse à ce type de pilotage, au risque d’échouer.

Dans ce collège, les élèves réussissaient plutôt bien, la différentiation pédagogique fonctionnait plutôt pas mal. Fort d’un dispositif ULIS et d’une prof géniale qui s’appuyait sur quelques collègues, la prise en charge des élèves à besoins particuliers fonctionnait globalement bien.
Mais il manquait de mon point de vue une implication plus large des équipes, un partenariat fort avec les familles et un développement du bien-être au collège pour tous les élèves.

Pour résumer, j’avais le sentiment d’avoir une pépite brute entre les mains, que je n’ai pu transformer en véritable bijou.

Au bout du compte, les élèves ont continué d’avoir de plutôt bons résultats, quelques élèves ont eu le privilège de croiser des enseignants merveilleux qui ont marqué leur scolarité, et les indicateurs plutôt au vert à mon arrivée étaient toujours plutôt au vert à mon départ.
Les profs investis ont continué de se sentir ponctuellement isolés et ne souhaitaient pas emmener leurs collègues dans leurs envies, mais ont continué de s’investir, les profs non investis ont continué de faire comme avant et à faire leur petit bout de chemin sans jamais s’intéresser à ce qui se passait au delà de la proximité immédiate de leur nombril, et les années sont passées sans heurt.

Un enseignant est devenu un ami après coup, je garde un contact professionnel avec un ou deux autres, je devrais finalement être satisfait de mon passage.
Pourtant j’en garde un vrai sentiment d’échec car je trouvais que nous manquions d’ambition.
Je pense encore aujourd’hui que je n’étais peut-être pas le bon chef pour ce collège (et je partage ce ressenti d’échec avec au moins deux des chefs qui y sont passés).

J’ai été rassuré par mes pairs, par mon directeur académique, par mes collègues IPR sur le thème « à l’impossible nul n’est tenu ».
J’étais le chef de ce collège d'irréductibles, je maintenais le couvercle avec un brio certain, et tout allait pour le mieux. 
Soit...

Tout cela pour dire quoi ?

Ce métier est parfois terriblement ingrat et solitaire. Surtout quand on dirige un établissement sans adjoint.
Et pendant ces quatre années, il m’a cruellement manqué une soupape d’expression libre.

Quand on est en réussite, on partage cela avec toute sa communauté et on se sent bien.
Et tout va bien.
Mais quand ça ne va pas (et ça arrive aux meilleurs), l’isolement accentue les difficultés et potentiellement nous ronge un peu plus.
Je n’ai pas trop souffert, j’avais la chance d’avoir des missions extérieures qui rompaient mon isolement, mais je connais des collègues dans cette situation qui souffrent (en silence, la plupart du temps).

Je fais partie d’un (petit) syndicat qui milite depuis toujours pour que chaque EPLE (collège et lycée) ait un chef et un chef adjoint ; revendication que je partage.
Il me semble indispensable qu’il y ait une équipe de direction au sens strict du terme, et non pas seulement élargie à l‘adjoint gestionnaire et au CPE, quand il l’accepte (même si cette équipe me semble aussi indispensable au bon fonctionnement).

Toutes les solutions qui consistent aujourd’hui à accompagner les personnels de direction en difficulté ne sont de mon point de vue que des réponses trop tardives à un souci bien réel de RPS. Surtout que, quand un chef seul demande de l’aide il est souvent trop tard (qui en interne pourrait remplir le rôle de lanceur d’alerte ?).

Je sais que beaucoup de mes collègues ne partagent pas mon point de vue (parce que cela aurait pour effet de diminuer le nombre de postes de chef-chef) mais la réflexion ministérielle qui envisageait un temps de regrouper administrativement deux petits EPLE avec un chef et deux adjoints me semblait intéressante.
S’il y avait beaucoup de points négatifs, il y avait là une solution simple pour que dans chaque structure existe une équipe de direction communicante et apprenante (terme cher à notre ex-rectrice) ; cela aurait pu nous amener à réfléchir à une revalorisation des chefs adjoints et à une réflexion globale des missions des chefs en charge de l’ensemble.
Je comprends néanmoins le corporatisme de l’opposition à ce genre d’idée, que je ne partage pas nécessairement.
Et je préfèrerais que chaque EPLE ait un chef et un chef adjoint (sachant que les modèles sans CPE demandent aussi une réflexion profonde sur la notion de Vie Scolaire – et vont apporter des oppositions corporatistes compréhensibles…).

Mais je pense que la priorité doit être donnée au bien-être professionnel (avec l’intérêt des élèves).
J’ai besoin parfois de quelqu’un avec qui dire des gros mots, avec qui rire, avec qui réfléchir de façon objective et réflexive sur mes choix et la politique de l’établissement.
Je veux un.e collègue qui peut me conseiller et me critiquer de façon constructive.
Je veux un pair au quotidien (n’y voyez aucun lapsus).

Il y avait sur mon poste précédent une cheffe adjointe, j’ai goûté à ce luxe et j’en sais la richesse.

Je poursuivais sa formation pour l’amener un jour à prendre en charge un poste de chef-chef, je ne prenais aucune décision importante sans avoir recueilli son avis, et je me sentais in fine encore plus légitime dans mon rôle.
J’étais formateur et je poursuivais ma propre formation grâce à son expertise et sa vision différente de la mienne.
Je décris là une relation idyllique et je sais que la communication n’existe pas toujours de façon fluide, mais je reste persuadé qu’un EPLE avec un couple chef/chef-adjoint a statistiquement plus de chances de réussir qu’un modèle de chef isolé.

Premier long billet de ce nouveau blog, n’hésitez pas à réagir ⬇️

Commentaires

Anonyme a dit…
Ah, c'est ben vrai, ça !
Mme Plafond, abonnée aux collèges où tout va bien merci, qui cherche la-les �� à mettre sur le ��